Témoignages

Mathilde

Ma maman a eu un cancer du sein quand j’avais 6-7 ans. Je me souviens encore de son annonce comme si c’était hier. Du haut de mes trois pommes, je ne réalisais pas le chaos que l’association des mots « cancer » et « sein » pouvait avoir. A cet âge-là, et avec toute l’innocence qu’il incombe, il est difficile de se projeter et de comprendre ce qu’implique la maladie. Et pourtant, la peur est quand même présente et elle ne nous quitte jamais vraiment. La peur que notre pilier ne soit plus là, la peur de la récidive, la peur qu’un jour le monde autour de nous s’arrête. Ma maman s’est battue comme une lionne, et aujourd’hui, elle va bien.

Elle a passé les tests génétiques, et le résultat a confirmé qu’elle était porteuse du gène BRCA1. À 18 ans, j’ai choisi de faire ce test à mon tour. C’était comme passer un examen, mais un examen très particulier. Celui où, pour une fois, on espère profondément échouer. Où l’on prie pour que cette épée suspendue au-dessus de notre tête disparaisse comme un mauvais rêve. Même si au fond, j’avais cette intuition presque viscérale. Je savais.

Pendant longtemps, l’idée même de la mastectomie préventive me semblait presque inconcevable. C’était un concept un peu abstrait, mais aussi une appréhension face à ce que cela signifiait physiquement et émotionnellement.

Le gène BRCA n’est pas un verdict définitif, pas forcément une promesse de cancer. Mais la vie, avec sa part d’incertitude et son lot de surprises, a cette étrange manière de nous rappeler sa fragilité. Un geste anodin, une histoire entendue au détour d’une conversation, ou parfois un événement tragique dans l’entourage : autant de rappels que tout peut basculer en un instant. Pour moi, la vie est un peu comme une loterie. On ne sait jamais quel numéro sortira, mais la peur est là, tapie quelque part, à mi-chemin entre le possible et l’improbable.
Ce fil si fin qui nous relie à la vie, on le sent parfois vibrer. On se rend compte qu’il suffit de peu pour qu’il se tende ou menace de rompre.

Finalement, cette décision de me faire opérer, je l’ai prise pour plusieurs raisons. Parce qu’au fond, c’était un choix pour la vie, un choix aligné avec ce que je souhaite pour le futur. En optant pour cette voie, je me donnais la possibilité de me projeter avec plus de sérénité et de confiance, tout simplement.

Mais il y avait aussi une autre raison, plus profonde, plus personnelle. Une personne exceptionnelle, la plus belle et courageuse : ma maman. Ce choix, je l’ai fait en grande partie pour elle aussi. Parce que c’était ma manière de lui dire merci. Merci pour tout ce qu’elle a fait, pour tout ce qu’elle a traversé en se battant pour nous. Pour sa présence indéfectible, même dans les tempêtes, même quand le poids des épreuves semblait trop lourd.

C’était aussi embrasser une part d’elle en moi et reconnaître la force et le courage qu’elle m’a transmis, cette détermination qu’elle incarne si bien.

J’ai donc subi une mastectomie préventive bilatérale avec reconstruction immédiate fin octobre 2024. Depuis, chaque jour est une découverte. J’apprends à mieux connaître mon corps, à l’apprivoiser, à l’écouter avec plus d’attention. Je ressens chaque changement, comme si j’apprenais un nouveau langage.

Ce genre de décision ne se prend pas à la légère, et chacun·e la vit différemment. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière d’y faire face, seulement un chemin personnel, souvent complexe.

Ce chemin est d’ailleurs parfois déroutant, mais il est aussi porteur d’espoir. L’espoir de se redécouvrir autrement, d’écrire une relation différente avec soi-même. Parce qu’au-delà des cicatrices, il s’agit aussi de réapprivoiser son histoire.